L'artiste autographiant sa biographie Jean Laforge par Christiane - Éditions du Gaymont, 1972 |
Parce que c'était son choix, Adrienne l'a toujours appelé Jean. Il était Jean de Frenêt. À 4 ans, il est devenu Jean Laforge par adoption, au mariage de sa mère.
...
Un enfant va naître. Indifférents Le Jeune Bois, La Quignôle et le Gaimont demeurent immobile comme pour un dernier rêve avant le réveil. Le hameau ouvre lentement un œil, hésitant entre le silence et l'oubli. C'est un joli pays que Frenêt, avec ses forêts, ses monts, ses prairies, ses maisons solides et calmes là tout en haut de la côte.
Tous savent. Mais personne ne voit le visage crispé de la jeune femme tenant vigoureusement la main de sa mère qui l'assiste dans cette difficile aventure de la maternité.
Par la fenêtre ouverte on respire une brise d'été parfumée, on respire aussi la crainte de cet instant où il va naître, où il va crier, où il va vivre.
Tous savent. Mais personne ne sait la vérité, cette merveilleuse vérité de l'amour et de la vie qu'apporte l'enfant qui vient de naître.
Entre les mains de la sage-femme, le bébé s'agita et commença à pleurer. Tendant les bras la mère l'appela auprès d'elle et la femme le lui donna. La chambre était sombre et sévère; malgré le plafond bas, on aurait dit une grande pièce, tellement tout était ordonné avec perfection et goût comme avait toujours su faire Adrienne.
Dehors l'aube naissait à peine. Le ciel hésitait encore entre le jour et la nuit; la lune semblait attendre la décision finale. Déjà les étoiles pâlissaient et toute chose dans la nature paraissait, dans cette demi-obscurité, avoir un œil ouvert. La journée du 16 août 1913 commençait.
Bientôt, Frenêt, petit hameau des Ardennes belges, va s'éveiller... Adrienne devinait de l'autre côté de sa fenêtre tous les bruits coutumiers. Elle détourna les yeux vers le mur, échappant un bref soupir. Puis doucement, avec tendresse, elle serra contre elle ce fils si fragile qu'elle venait de livrer à la vie.
Dans les bras de sa mère le bébé cessa de pleurer. Elle le berçait doucement et son regard si tendre posé sur l'enfant accentuait l'émotion que pouvait susciter la vue de son sourire triste. C'était un sourire fait de joie et de chagrin où la lèvre hésite entre le cri de joie et le cri de douleur; la bouche tremblante qui embrassait l'enfant ne sut que dire tout bas : '' Mon pauvre petit! ''.
Elle pouvait bien pleurer cette si jeune maman dont le fils, à peine né, était déjà marqué par le destin. Ce n'était qu'un drame de plus, une histoire à la fois merveilleuse et tragique. Histoire de la jeune fille trop belle, trop vivante pour ne pas attirer les regards du fils de bonne famille qui s'éprend d'elle et en fait sa maîtresse. Puis, vient le jour où la vie est conçue dans son sein, ce qui fit fuir l'amant qui ne l'aimait pas assez.
Adrienne frissonna et leva un regard inquiet vers la femme qui discrètement veillait sur elle. La mère et la grand-mère, toutes deux sourirent à l'enfant qui, endormi, s'abandonnait confiant. Il ne semblait pas pressé d'ouvrir les yeux à l'existence, préférant sans doute l'infini du silence et la nuit d'insouciance. Déjà il s'apprêtait à connaître la souffrance avec le calme et la candeur d'un enfant. Jean est né.
(P. 11 et 12 de Jean Laforge, biographie romancée)
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Publiée en 1972 aux Éditions du Gaymont, la biographie romancée de Jean Laforge est une édition de luxe à tirage limité numérotée de 1 à 400, avec illustrations couleurs de plusieurs tableaux de l'artiste. Des exemplaires sont encore disponibles. Prix de vente : 100$. Lancé successivement à Montréal, à Chicoutimi et à Bruxelles, ce livre a reçu le prix Mgr Victor Tremblay, décerné par le Salon du livre du SLSJ. L'auteure, Christiane Laforge, est souvent sollicitée pour écrire la suite, couvrant les années 1972 à 2006.
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